Nous avons choisi de dédier ce premier article à un photographe qui nous touche particulièrement, pour la délicatesse de ses images et sa curiosité qui l’a poussée à s’intéresser à plusieurs genres photographiques et à y exceller : André Kertész. Son impressionnante longévité lui a permis d’assister à la démocratisation de la photographie, à sa reconnaissance et surtout, de contribuer à faire émerger de nouveaux genres. Petite histoire de la photo au XXe siècle à travers le travail de ce photographe-poète.
André Kertész est né à Budapest en 1894. Alors appelé Andor Kertész, il est issu d’une famille juive hongroise. Professionnellement, il s’oriente assez tôt vers des études de finances et travaille alors à la Bourse de Budapest, incité par un beau-père financier (son père meurt dans son enfance).
Adolescent, il tombe par hasard sur un manuel de photographie et se jure de devenir photographe. C’est en 1913 qu’il achète son premier appareil photo, un ICA. Il pourra largement mettre à l’épreuve son appareil lors de son service dans l’armée hongroise lors de la Grande Guerre, durant laquelle il réalise de nombreux clichés du conflit. A son retour de la guerre, il publie ses premiers clichés et gagne un concours. Il acquiert alors une réputation locale mais on ne gardera que très peu de traces de ce passé photographique puisque la plupart de ses négatifs sont détruits lors de la Révolution Hongroise en 1918. A la même période, sa réputation s’étend à toute la Hongrie puisqu’il reçoit une distinction particulière : le Diplôme d’Honneur de la Société hongroise de photographie.
Paris, Kertész et les Surréalistes
Curieux et désireux de tenter sa chance hors des frontières de son pays, et de gagner en reconnaissance, il décide de s’exiler en France, et plus précisément à Paris, lieu emblématique du bouillonnement culturel. Il francise alors son prénom, Andor, en André.
Ces années de vie parisienne furent particulièrement décisives pour Kertész. Son travail évolua au fil de ses rencontres. Paris, alors lieu incontournable des artistes réputés de l’époque, devient pour Kertész une source d’inspiration, mais également un moyen de rencontrer les personnalités littéraires et artistiques du moment.
C’est lors de son long séjour à Paris qui a duré une dizaine d’années, que Kertész côtoie les grands maîtres du Surréalisme et que son œuvre s’en approche. Alors qu’il a toujours été fasciné par les éléments déformants du corps humain, comme l’illustre l’un de ses clichés les plus anciens, réalisés lorsqu’il n’avait même pas vingt ans, représentant son frère nageant sous l’eau, les Surréalistes lui offrent un libre territoire d’expression à sa créativité.
Il apprend beaucoup de ce mouvement, alors à son apogée. Il participe à des échanges avec Brassaï et Man Ray, fréquente des artistes tels que Chagall, Mondrian, Colette et Calder. Son travail est alors proche des Surréalistes et des Dada, mais il ne se réclame d’aucun de ces mouvements. C’est la variété de ses réalisations qui ne permet pas de le rattacher à un type précis de mouvement.
C’est dans ce contexte culturel bouillonnant qu’il réalise sa série la plus célèbre, Distorsion, où il faisait figurer le reflet de femmes dans des miroirs déformants et qui lui a valu d’être en partie rattaché au courant surréaliste.
Paris-New York : Kertész et la naissance du reportage urbain
En parallèle de sa vie parisienne, il collabore avec de nombreux magazines français mais se dit souvent frustré, en tant qu’artiste, par ce type de travail à la commande. En 1928, il se dote du fameux Leica 35mm et sera le premier photographe à l’utiliser pour des photos professionnelles. Il l’utilisera d’ailleurs pour un reportage pour le magazine Vu : c’est le début du photo reportage dont il est l’un des pionniers.
En 1933, il décide de partir pour New York avec celle qui deviendra sa femme et sa plus grande source d’inspiration, Elizabeth Sali. Il photographiera alors sa muse sous toutes les coutures, à travers des portraits ou autoportraits, dont certains sont devenus célèbres et sur lesquels il opèrera divers recadrages pour montrer l’importance du changement de perception en fonction du cadre.
Ce séjour, au début temporaire, prit une autre tournure à la proclamation de la deuxième Guerre Mondiale. Il décide alors de s’installer définitivement à New York. Il poursuit son travail autour du photo-reportage amorcé à Paris, dans les rue new-yorkaises : il ne s’arrête pas aux conventions que l’exigeraient ce genre particulier mais en offre sa propre définition, une vision poétique et épurée. Il collabore à nouveau avec divers journaux tels que Vu et Vogue, mais son style est assez incompris et ces collaborations s’achèvent rapidement.
Le plaisir de photographier
Il acquiert en 1944 la nationalité américaine, mais ce n’est pas pour autant qu’il se sent appartenir à ce pays. Ce sentiment d’être un apatride le suivra toute sa vie : c’est cette profonde mélancolie qui se dégage de ses photos New-Yorkaises dont les plus connues sont ses séries sur les cheminées et les toits de la ville. En 1963, malade, il abandonne les commandes et se recentre sur son propre plaisir de photographier.
Il continue à suivre de près les évolutions de la photo et notamment des procédés. En 1977, effondré par la mort de la femme, il réalise une série de Polaroids touchante, représentant un buste de verre censé incarner sa femme défunte, qu’il pose devant sa fenêtre. Il sera l’un des premiers photographes à mettre en scène ce format Polaroïd dans la photo d’art.
Il s’éteindra en 1985 à New York.
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